|
Figure
1 : Left : Large scale variability of the sea surface chlorophyll
concentration over the North Atlantic derived from the CZCS climatology.
Right : an individual Seawifs scene in the North east atlantic (north of
the POMME area) with 1 km resolution showing the mesoscale and sub-mesoscale
variability of the chlorophyll distribution.
La
variabilité à mésoéchelle du phytoplancton
est de mieux en mieux comprise et documentée. Données et
simulations numériques montrent que les vitesses verticales associées à l’instabilité barocline
et aux structures tourbillonnaires qui en résulte varient de quelques
mètres par jour à quelques dizaines de mètres par
jour. Le temps de déplacement de la cellule dans la couche éclairée
est donc du même ordre de grandeur que son temps de doublement,
c’est-à-dire de l'ordre d'un à quelques jours. Les
mouvements verticaux associés à l'activité mésoéchelle
océanique stimulent donc la production primaire car ils sont responsables
d'enrichissement local en nutriments sur des échelles de temps
compatibles avec celles associées à la croissance du
phytoplancton.
Par contre, les petites échelles de phytoplancton ont longtemps été considérées
comme peu énergétiques, et résultant de la cascade
turbulente bidimensionnelle. La vision classique est que l'injection
(verticale) de nitrate dans la couche euphotique a lieu à grande échelle
ou à mésoéchelle, et que par cascade turbulente
bidimensionnelle (horizontale) le phytoplancton s'organise en petites échelles
filamentaires. Cependant, un certain nombre d'études dynamiques,
basées à la fois sur des observations et des expériences
numériques, ont montrées que la dynamique sub-mésoéchelle
est fortement agéostrophique, ce qui suggère que des injections
importantes de nitrate peuvent avoir lieu à ces plus petites échelles.
Sur la base de ces considérations, un programme de recherche sur
3 ans, financé par l’ACI jeunes chercheurs (ministère
de la recherche) a été initié en 1999 et s’achève.
L’objectif principal était de mettre en évidence
les mécanismes physiques susceptibles d’induire une augmentation
notable de la production primaire sur des échelles horizontales
ne dépassant pas la dizaine de kilomètres. Dans le cadre
d’expériences numériques courtes (30 jours) menées
dans un bassin académique de faible extension (canal périodique
de 200 km de long) où régnait une activité turbulente
fortement énergétique, des processus de frontogènese
intenses ont pu être identifiés comme responsable d’une
augmentation de la production primaire et de l’export d’un
facteur deux. Par ailleurs, ces expériences ont mis en évidence
des liens forts entre dynamique mésoéchelle et dynamique
sub-mésoéchelle. En particulier, les vitesses verticales
importantes associées à la mésoéchelle se
trouvent piégées, près de la surface, dans des structures
filamentaires. La conséquence importante au niveau biogéochimique
est que la variabilité mésoéchelle ne peut être
correctement appréhendée que si la sub-mésoéchelle
est elle-même résolue, que ce soit au niveau des observations
ou des modèles numériques. C’est essentiellement
sur les bords des tourbillons et dans les filaments que les apports en
nitrate sont les plus importants. Le centre des tourbillons, au contraire,
est relativement bien isolé et enferme les conditions biogéochimiques
de la zone de formation. A cela correspond un transport latéral
(par opposition à vertical), qui se traduit par exemple par la
présence de structures cycloniques riches en matière organique
dans des zones très oligotrophes.
Les études proposées dans le cadre de ce projet visent à finaliser
les résultats obtenus, et à les étendre aux échelles
régionales et de bassin et sur un cycle annuel. C’est en
effet à ces échelles là que la quantification de
l’importance des mécanismes mésoéchelle et
sub-mésoéchelle est réellement significative. Il
faudra évaluer l'impact de ces mécanismes sur les bilans
globaux de production, d'export et de reminéralisation. Si l'activité (sub-)mésoéchelle
s'avère aussi importante qu'on le pressent, il sera nécessaire
de bien comprendre régionalement l'ensemble des processus d'interaction
impliqués. L'océan Atlantique servira de cadre à cette étude,
car c'est un bassin qui a fait et fait encore l'objet de nombreux programmes
de recherche et d'observations nationaux (EUMELI, POMME) et internationaux
(NABE, BATS).
Le bassin Atlantique peut se décomposer en plusieurs régions
types, chacune associée à un régime de production
et d'export différents, ce qui permettra d'aborder une vaste gamme
d'interactions entre la dynamique océanique et les cycles biogéochimiques
et sera donc riche en enseignement. La gyre subpolaire se caractérise
par une forte floraison, liée à un apport important de
nutritifs en hiver, lorsque la couche de mélange est très
profonde, et à la restratification de la colonne d'eau au printemps.
La gyre subtropicale est très oligotrophe. Elle est associée à une
production avant tout basée sur la régénération,
et par un important export de matière organique dissoute. Le système
est encore différent au niveau des upwellings côtiers (Mauritanie,
Benguela), où la production, majoritairement nouvelle, varie au
grès de l’intensité de l’upwelling. En outre,
l’intensité de l’activité mésoéchelle
(mesurable en terme d’énergie cinétique turbulente)
varie également d’une région à une autre.
La région du Gulf Stream, front fortement instable, est bien plus énergétique
que la région Atlantique Nord Est, où l’on observe
toutefois la présence de nombreux tourbillons. A ces différents
niveaux d’énergie correspondent des échelles de temps
dynamiques distincts, et vraisemblablement des réponses biogéochimiques
différentes.
L’approche sera basée à la fois sur la modélisation
et sur l’analyse d’images satellites issues de capteurs différents.
Un des outils puissant pour l’étude des cycles biogéochimiques
océaniques est le laboratoire numérique que constitue un
modèle d’océan couplé à un modèle
biogéochimique. Comme tout modèle, celui-ci est limité par
des contraintes de complexité. Son succès repose alors
sur l’intelligence des simplifications faites dans les limites
imposées par ces contraintes. Une de ces contraintes est que toutes
les échelles ne peuvent être résolues. Les modèles
actuels d’océan mondial représentent les phénomènes
physiques aux échelles supérieures à environ 100
km et ne résolvent pas la mésoéchelle, qui a un
impact important à la fois sur la circulation océanique
et sur les cycles biogéochimiques à grande échelle.
La tendance actuelle est à un raffinement de la résolution
des échelles (quart de degré dans le modèle global
MERCATOR, dixième de degré dans le modèle de Los
Alamos et le modèle Earth Simulator de Tokyo). Mais la résolution
explicite de la sub-mésoéchelle pour un modèle réaliste
de l’océan Atlantique est loin d’être à la
portée des calculateurs actuels les plus puissants, et de ceux
a venir. En effet, elle nécessite des grilles dont le maillage
horizontal est de 2 km. L’étude des processus sub-mésoéchelle
ne peut se faire que dans des configurations de dimension réduite.
Pour contourner ce problème, deux études de processus distinctes
et complémentaires sont proposées. La première traitera
le cas d’une dynamique de turbulence en équilibre statistiquement
stationnaire. Elle permettra d’aborder l’impact des interactions
entre de nombreuses structures mésoéchelles, et de résoudre
pleinement les cascades turbulentes directes et inverses, dans le cadre
d’un régime de turbulence et d’un régime biologique
bien determinés. Le deuxième repose sur une configuration
de type double-gyre. Dans cette configuration, pourront être abordés
différents régimes biologiques et turbulents, mais cette
fois seul un petit nombre de structures mésoéchelles seront
résolues. Parallèlement, une autre approche sera suivie,
basée sur l’analyse et la comparaison d’images satellites
multi-capteurs haute résolution (SST, chlorophylle, SLA). Ces
trois approches (turbulence statistique, double-gyre, images régionales)
convergerons pour donner une image globale et quantifiée de la
contribution de la dynamique de fine échelle sur les bilans biogéochimiques
globaux (production primaire et export). La dernière étape
consistera à mettre au point des paramétrisations des processus
sub-mésoéchelle qui pourront être intégrées
dans les modèles globaux.
Ce projet est complémentaire aux études de modélisation
qui seront menées dans le cadre de POMME (Atlantique Nord-Est).
Ici, il s’agit d’explorer les interactions entre la dynamique
sub-mésoéchelle et la biogéochimie en balayant le
mieux possible l’espace des paramètres associés à la
dynamique d’une part et au régime de production d’autre
part. Les résultats permettront de mieux rationaliser les situations
rencontrées lors des campagnes POMME, et aideront à l’interprétation
et à l’analyse des simulations biogéochimiques prévues
dans POMME. |